« Nous sommes des monstres formidables »

Au cours de la première année on doit effectuer deux stages, un en médecine (ou chirurgie) et un en gériatrie.

Je vais pas vous mentir en vous disant que j’y suis allée le cœur remplit de joie. La gériatrie en général c’est beaucoup de routine, une charge de travail importante, le spectre de la mort en fond mais c’est également un endroit où l’on fait de belles rencontres avec des personnes qui nous font partager des bouts de leurs vies, leurs expériences.

Le service où j’ai fait mon stage respirait le surmenage et le burn out en dormance.
La supervision étudiante était proche du zéro absolu. J’étais là plus pour faire un boulot d’aide soignante que pour me familiariser avec les techniques infirmières nouvellement apprises.

Dans ce service, il y a autant de patient qui sont là pour une durée déterminée que pour une durée indéterminée.
Il y a ceux qui sont valides et dynamiques et ceux que l’on doit assister pour chaque geste du quotidien.
Il y a ceux qui parlent, qui parlent même beaucoup et les mutiques.
Il y a aussi ceux qui sont en état de démence avancée, agités et deviennent un danger pour eux-même.

Il y a ce patient qui est à risque de chute +++, comme on dit.
Les barrières de lit, il les enjambe.
La chaise gériatrique, il glisse au fond.

Vient alors le moment d’envisager une méthode de contention.
En Belgique, sur le papier, la contention est un acte infirmier qui ne nécessite pas de prescription médicale. Même si en interne la décision est prise en collaboration avec le médecin et le statut est réévalué toutes les 24 heures.

Dans le cas présent, c’est la ceinture abdominale qui a été préconisée lorsque le patient est au lit et un harnais lorsqu’il est sur la chaise.

Après le déjeuner, avec un autre stagiaire de l’unité, on est allé remettre le-dit patient au lit pour la fameuse sieste post-prandiale. Le transfert se fait sans encombre et vient le moment de remettre au patient les contentions.
Le patient nous supplie de ne pas l’attacher, il appelle au secours, se débat.
J’essaie de lui expliquer les raisons de cette mesure, sa sécurité étant la principale. Il ne veut rien entendre et se met à gémir, pleure en demandant pourquoi on lui fait ça.
On arrive néanmoins à mettre en place la contention, en essayant au mieux de rassurer le patient.

En sortant de cette chambre, en entendant le patient pleurer, je me suis tournée vers mon collègue et je lui ai dit : « J’ai l’impression d’être un monstre ».
On a beau se dire que c’est justifié et que cela est dans le meilleur intérêt du patient, on en revient quand même au fait que l’on attache quelqu’un et cela se fait la plupart du temps contre la volonté du patient qui n’est plus assez lucide pour comprendre les implications d’un tel dispositif.

Alors oui je peux vous le dire, nous sommes des monstres formidables.

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Une réflexion sur “« Nous sommes des monstres formidables »

  1. Linoa dit :

    …ça m’a toujours fait mal. Toujours. J’aimerai dire qu’on s’habitue mais, jamais. La mort, la souffrance, beaucoup de choses on s’y fait, ça fait partie du travail, mais attacher quelqu’un on se sent toujours maltraitante, aussi « bien » et humainement qu’on le fasse.

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